LE MANS 1923 : LA NAISSANCE D’UNE LéGENDE

C'est l'après-guerre, les prémisses des Années folles, le goût de créer, de partager, de vivre à bride abattue, de se réinventer. L'époque foisonnante est propice aux expériences et l'automobile n'y échappe pas. Depuis ses débuts, à l'aube du siècle, on se lance des défis, on file vers la grande ville voisine pour savoir qui passera la ligne d'arrivée en premier. Chaque marque naissante veut prouver qu'elle est la meilleure.

Déjà, les plus ambitieux affutent leurs armes, allègent, gonflent les mécaniques et se jettent sur les routes ouvertes sans plus de précautions, reliant Paris à Rouen, Bordeaux ou Madrid. Cette dernière course précisément fut interrompue à Bordeaux, car trois millions de personnes se massèrent aux bords du tracé où Louis Renault accomplit la première étape à 105 km/h de moyenne. Il apprendra, à son arrivée, l'accident mortel de son frère Marcel, également en course.

À LIRE AUSSI24 Heures du Mans : Ferrari a marqué l'épreuve au fer rougeMais le talent balbutiant des pilotes sur des routes non revêtues, constellées de pièges, les roues des voitures soulevant la poussière causèrent tant d'accidents que les gouvernements français et espagnol interrompirent l'épreuve à Bordeaux. Ce sera la fin des courses en ligne sur routes ouvertes et l'obligation faite, désormais, de courir en circuit. Le Grand Prix de l'Automobile Club de France naît ainsi en 1906 et la première course est organisée sur le circuit de la Sarthe par un Automobile Club de l'Ouest naissant.

Le succès de l'épreuve allait grandir jusqu'à ce qu'un désaccord avec l'ACF pousse l'ACO à créer son propre événement. Plutôt que de raisonner en vitesse pure, l'idée fut de mettre à l'épreuve les voitures les plus proches de la série sur 24 heures afin de démontrer leurs qualités d'endurance et de fiabilité. Un extraordinaire banc d'essai et un tremplin pour les marques et les 33 équipages qui s'alignèrent le 26 mai 1923 au départ de la première édition. Le règlement était original, mis sur pieds par le journaliste Charles Farroux, Georges Durand, secrétaire général de l'ACO, et Émile Coquelle, un industriel à la tête des établissements Rudge-Witworth.

Voitures plombées

Classé selon quatre catégories de cylindrées (moins de 1,5 litres, entre 1,5 et 2 litres, de 2 à 3 litres, et plus de 3 litres), chaque véhicule devait avoir sa carrosserie, ses phares, ses sièges au nombre de quatre, sauf pour les voiturettes inférieures à 1,1 litre. Le pilote est seul à bord, non pas secondé par un mécanicien comme sur les courses en ligne, mais épaulé par un coéquipier à qui il passe le relais. Il est toutefois muni d'un outillage pour parer à toute défaillance. Insolite, les sièges inoccupés devaient être lestés chacun de 60 kg pour reproduire au mieux l'usage civil du véhicule, ce qui faisait 180 kg de plomb.

À LIRE AUSSI24 Heures du Mans, WEC : Hypercars, LMP2, GT? Le guide pour s'y retrouverL'organisation avait tout prévu avec des animations pour le public, une fête foraine et avait même approché la météo pour définir la meilleure date possible pour l'événement. Le départ fut donné le 26 mai? sous une pluie diluvienne. Le circuit de 17,3 km adopte déjà le tracé actuel avec sa ligne droite des Hunaudières, son virage d'Indianapolis, Maison Blanche, le Tertre rouge ou Mulsanne et Arnage. Des lieux mythiques jusqu'à aujourd'hui où se sont construites les plus belles histoires des 24 Heures. La pluie qui tombe dru met à mal le revêtement fait de terre, de goudron et de gravette, qui ne tarde pas à se transformer en mélasse.

Pour gagner en vitesse, les pilotes abaissent la capote, ce qui entame leur résistance physique, confrontée ensuite à la nuit et à la pitoyable portée des phares. Précédées d'un vague halo, les voitures se suivent toute la nuit, la Chenard & Walker de Lagache-Dauvergne menant les débats devant deux voitures s?urs et une Bentley anglaise ralentie par une lampe défaillante.

À LIRE AUSSI24 Heures du Mans : centenaire doré et avenir radieuxLe jour revenu, la voiture anglaise remontera grâce à de meilleurs freins et une tenue de route plus sûre. Mais une projection de pierres percera le réservoir jusqu'à le vider. Le pilote marchera 5 kilomètres pour rejoindre les stands, parlementer avec la direction de course pour, muni d'un jerrycan, avoir le droit de dépanner sa voiture pour la ramener aux stands où pouvaient uniquement avoir lieu les ravitaillements. 

Sur un vélo prêté par un gendarme, il effectuera l'opération, obturant le trou avec un bouchon de liège. La grande histoire de Bentley aux 24 Heures du Mans commençait à s'écrire, mais c'est bien la Chenard et Walker qui boucla les 24 heures au terme de 2 205 kilomètres parcourus à 92 km/h de moyenne. Elle ne fut pas pour autant victorieuse, car la coupe Rudge-Witworth imposait trois participations de suite pour déterminer un vainqueur. Une idée rapidement abandonnée afin que la compétition reste compréhensible du grand public, mais toujours en privilégiant l'endurance, jusqu'à aujourd'hui.

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