Son capital sympathie reste intact: d'après l'assureur Hiscox, Citroën est en effet la marque la plus prisée des… collectionneurs français de voitures anciennes. Malheureusement, cette flamme pour les vieilles 2 CV et DS pâlit quand il s'agit de modèles récents. Selon les derniers chiffres publiés, le constructeur ne représente plus que 3,3% des ventes de voitures neuves en Europe, contre 6% en 2010. En France, la chute est tout aussi brutale, pour atterrir à 8,5%. Suprême humiliation, Citroën s'est fait doubler par Dacia l'an passé sur ces deux marchés. "On est vexés", reconnaît Nicolas Luttringer, directeur marketing de la marque en France.
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Les répercussions n'ont pas tardé. Au lendemain de l'annonce de profits record par sa maison mère Stellantis le 22 février, Vincent Cobée, le directeur général de la marque, a été remercié, au profit de Thierry Kos-kas (lire l'encadré en fin d'article). Le feu couvait: Carlos Tavares, à la tête du groupe, manifestait depuis plusieurs mois son irritation devant les résultats insuffisants de Citroën.
Comment expliquer une telle dégringolade? Citroën pâtit à la fois de son histoire et de choix structurels problématiques. "C'est la marque dont l'ADN est le plus difficile à appréhender aujourd'hui", constate un expert du cabinet de conseil Deloitte. La firme est "marquée par le grand écart historique entre les 2 CV et les DS", résume Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l'université de Bordeaux. Or Citroën a perdu son haut de gamme quand Carlos Tavares a lui-même décidé en 2014 de faire de DS une marque indépendante. Cette scission a déséquilibré le positionnement de Citroën.
Puis Stellantis a défini Citroën comme une marque "accessible", malgré des prix de vente trop élevés. Son modèle le moins cher est à 16.590 euros, contre 11.490 euros pour Dacia, 11.740 euros pour Hyundai et 15.100 euros pour Opel. "Nous sommes aujourd'hui 15% plus attractifs que Citroën", insiste Xavier Martinet, directeur des ventes de Dacia. L'année dernière, Citroën a notamment abandonné la mini-citadine C1, vendue à partir de 11.650 euros, produite en commun avec la Peugeot 108 et la Toyota Aygo. "Il proposait 2.000 euros de remise sur sa C1, bien plus que Peugeot et Toyota", rappelle un dirigeant européen de la firme nippone. Pas assez rentable, a décidé Carlos Tavares. Le grand patron, obsessionnel de la marge, est parti à la chasse aux rabais. "Une vieille habitude chez Citroën", note Bernard Jullien. Les ventes, aujourd'hui, s'en ressentent.
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"Tavares souhaite des marges plus que des volumes, mais est-ce qu'il faut continuer à perdre des parts de marché?", s'interroge le groupement des concessionnaires Citroën. Outre le positionnement prix pour le moins ambigu, la marque a perdu de son attractivité. La C3 d'entrée de gamme date de 2016, alors que les Peugeot 208 ou Opel Corsa, du même groupe Stellantis, ont été renouvelées en 2019. Citroën manque aussi de petites électriques. Certes, la firme a sorti en 2020 une AMI zéro émission à 7.790 euros. Mais il s'agit d'une voiturette sans permis, dont la vitesse est limitée à 45 km/h.
Par ailleurs, Citroën souffre d'un handicap traditionnel. L'âge moyen de ses clients "atteint 62 ans, contre 55 en moyenne", résume Eric Champarnaud, du cabinet de conseil C-Ways. C'est plus que pour un client Renault (58 ans), Peugeot (56) ou Dacia (55). "20% des acheteurs de Citroën en France ont même entre 70 et 80 ans", précise le consultant. Le hic, c'est que ce sont des gens qui renouvellent peu leur véhicule. Et le problème s'aggrave: il y a cinq ans, la moyenne était à moins de 60 ans.
Enfin, pour ne rien arranger, Stellantis a résilié en 2021 ses contrats de distribution, entraînant une forte grogne dans le réseau de vente, qui ne facilite pas la performance commerciale. "La tension est devenue énorme", explique le groupement des agents Citroën et DS. A tel point que la firme a dû changer brusquement de responsable commercial France en début d'année, pour tenter d'apaiser le conflit. Dans cette ambiance délétère, beaucoup de distributeurs Citroën "se laissent séduire par les marques chinoises", regrette le groupement des concessionnaires.
Concessionnaire Citroën. Après la résiliation des contrats de distribution par la maison mère Stellantis en 2021, beaucoup de distributeurs se sont tournés vers les marques chinoises. Crédit: Patrick Siccoli/Sipa
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Et maintenant? Citroën attend beaucoup de la future petite C3, qui devrait être présentée en fin d'année. La version européenne réutilisera en effet la plateforme simplifiée de la version lancée en Inde et au Brésil l'an dernier. Avec une déclinaison électrique ë-C3, à un peu plus de 20.000 euros.
Citroën a aussi présenté fin septembre le concept Oli de futur SUV électrique autour de 25.000 euros, contre 40.000 euros pour une Peugeot e-2008 aujourd'hui. Ce petit engin carré et haut sur pattes inaugure une nouvelle vision de l'automobile frugale, fonctionnelle, légère, facile à fabriquer avec des matériaux recyclés. Pour séduire des clients plus jeunes.
"C'est une façon de dire assez à la surenchère d'équipements, de sophistication", insiste Laurence Hansen, directrice du produit et de la stratégie de Citroën. Simple concept? "50 à 70% des idées pourront être mises en série dans les trois à cinq ans", résumait Vincent Cobée avant son départ. De quoi renouer avec l'audace qui fit sa renommée avec la 2 CV? A défaut de recréer une DS.
Un ex-Renault appelé à la rescousse
Jusqu'à présent directeur des ventes et du marketing de Stellantis, Thierry Koskas a pris au 1er mars la direction de Citroën, tout en conservant ses précédentes fonctions. A 58 ans, il remplace Vincent Cobée, 54 ans, un ex-Nissan qui n'aura tenu que trois ans à la tête de la firme aux chevrons.
Ancien fonctionnaire en charge de la sûreté nucléaire dans le Nord, Thierry Koskas avait rejoint le groupe Renault en 1997 pour occuper divers postes commerciaux en Europe, en Asie-Afrique et au siège. Douze ans plus tard, cet X-Mines dirigeait le développement des voitures électriques au cœur de la stratégie du PDG Carlos Ghosn.
Début 2011, il se retrouvait indirectement mêlé à l'affaire des faux espions de Renault: son bras droit, Matthieu Tenenbaum, figurait en effet parmi les trois cadres de Renault licenciés pour faute lourde avant d'être blanchis. En 2016, Thierry Koskas a été nommé directeur des ventes du groupe. Trois ans après, il occupait le même poste chez PSA.
Thierry Koskas. A 58 ans, il remplace Vincent Cobée à la direction générale de Citroën. Crédit: Gilles Rolle/Réa
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